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Récit d’une recherche au sang !

Luc Baufay

Recherche au sang

 

« Une réussite aux forceps … »


Laurent Wattier


Sept heures, le réveil sonne. Non, c’est le téléphone. Vite me rappeler qui suis-je, où suis-je … Un sanglier a été tiré il y a 1 h 05, il est rentré dans le maïs … Pouvez-vous venir ? Oui, bien sûr ! On ne peut pas dire non à un chasseur qui a la bonne idée d’appeler très vite !

Comme on annonce une température estivale, il ne faudra pas attendre trop longtemps avant d’entamer la recherche. Mais, d’un autre côté, il est préférable d’attendre un peu que la bête se soit calée et un peu engourdie. Je fixe le rendez-vous à 9 h : la température sera encore acceptable, et il se sera écoulé un peu plus de 3 heures quand Galafe pourra empaumer la voie.

Neuf heures, un thermomètre indique déjà 19°C. Le jeune chasseur (à mon âge, il y a de plus en plus de jeune … tout est relatif) est ponctuel au rendez-vous. Il est d’un abord sympathique : la recherche en sera plus agréable. Nous nous rendons sur les lieux de l’affût et garons les véhicules en bordure du maïs. Il m’explique les faits pendant que j’équipe Galafe.

De nombreux sangliers visitent cette culture de maïs, et le fermier espère que la régulation sera efficace. Mais aujourd’hui, alors que Laurent – c’est notre chasseur – arrive sur son poste d’affût, il voit seulement deux sangliers. Ils sont de même taille, et évalué chacun comme pesant 45-50 kg vidé (même si Laurent avoue souvent sous-évaluer le poids des sangliers). Il tire une première .300 WM, avec sa carabine à verrou équipée d’une lunette. Mais, il estime ce tir raté. Les deux bêtes noires font demi-tour. Alors qu’elles sont en plein travers à une dizaine de mètres du maïs, il lâche une deuxième balle sur le flanc gauche de l’animal. Les sangliers rentrent dans le maïs. Aucune autre réaction n’est notée. La distance de tir est longue – 190 m – mais compatible avec la munition utilisée. Il pense en avoir touché un. Probablement un peu trop derrière … Dans l’abdomen ? Qui sait …

Il attend un peu, quitte son affût et se met à la recherche d’indices. Il finit par trouver une goutte de sang – une seule goutte – à l’Anschuss. C’est suffisant pour attester d’une blessure. Il examine la bordure du maïs et y voit deux traces de sang frotté sur les tiges de maïs, à 60 cm de hauteur. Ces traces sont de part et d’autre de la voie. La balle a certainement percé de part en part notre sanglier, qui laissera des indices à gauche et à droite de la voie. Il pénètre de quelques mètres dans le champ de maïs. Les indices se répètent : sang frotté de chaque côté de la voie. Il ne va pas plus loin et m’appelle. Heureusement, certains chasseurs ont les bons réflexes. Laurent fait partie de ceux-ci.

 


anschuss

 


 

J’examine tout d’abord l’Anschuss, et l’entrée dans le champ de maïs. Le sang me semble de couleur très foncée. Même si l’interprétation de la couleur peut être hasardeuse, la voie n’est vieille que d’un peu plus de trois heures et le sang est encore frais. L’hypothèse de la balle d’abdomen me semble donc probablement valide. Il n’y a aucun autre indice. Vu le nombre et la taille des bêtes, je privilégie l’hypothèse de deux laies …

Nous n’aurons pas beaucoup de visibilité dans le maïs. La taille suspectée du sanglier me conduit à équiper Galafe de son gilet de protection. Je la mets à l’Anschuss. Elle inspecte pendant quelques secondes les environs. Je la rappelle et lui montre la goutte de sang. Elle se dirige immédiatement vers le maïs, pour y pénétrer entre les tiges arborant les indices. Elle poursuit et le contrôle me permet de vérifier que nous sommes bien sur la piste. Toutefois, très rapidement, je ne vois plus aucun indice. Je ne m’inquiète pas : il suffit que je marche dans la « ligne » voisine, à quelques 20-30 cm de la voie, pour que les indices me soient cachés. Après 90 m, nous arrivons sur une reposée : le sol a été retourné ; des traces de sang marquent le sol. Galafe s’arrête brièvement et reprend son pistage. Rapidement ! Mais après avoir obliqué sur notre droite. Nous continuons ainsi sur une centaine de mètres. Là, l’odeur de sanglier devient forte. Je suis sur mes gardes. Mais, Galafe décrit une boucle en forme de « U », et nous revenons quasiment sur nos pas, une vingtaine de mètres plus loin dans le maïs. Galafe avance vite, mais nez en l’air. Cela n’augure rien de bon. Après 70 m, elle commence à décrit un large cercle. Je l’arrête et décide de lui enlever son gilet de protection. Je ne suis pas satisfait de sa façon de travailler, et je crains que le port du gilet ne l’embête trop, au point de la distraire. Nous continuons. Son travail ne s’améliore pas. Elle avance, revient me chercher, repart, et ainsi de suite … La longe s’enroule autour des tiges de maïs. Je choisis de la laisser travailler en libre. Ca ne va pas mieux … Bien sûr, la chaleur et le biotope – une terre nue sous le maïs – ne favorisent pas le bon rendu des odeurs, mais nous ne pouvons pas continuer de la sorte. Qu’elle soit tenue en longe ou non, le plus souvent Galafe est hors de ma vue. Je ne vo pas les indices, même si elles les marquent … Je décide de revenir à la reposée, que j’ai marqué au GPS, et qui est notre dernier indice vu. Nous avons parcouru 600 m en une demi-heure, mais le travail n’est pas efficace … Il va falloir travailler plus calmement et valider notre progression par un contrôle avec les indices.


 

 

indice sang champs de maïs

 

 

 


 

Nous voici de nouveau à la reposée. Il est 9 h 45. La température monte. Laurent et moi cherchons les indices et n’avançons que lorsque nous les avons vus. Ils sont nombreux. Toujours du sang frotté sur les tiges de maïs. Par moment du sang au sol, signe d’une reposée debout. Quand nous ne voyons rien devant nous, j’avance pour suivre Galafe qui est toujours en libre et qui me conduit à de nouveaux indices, 3-4 m devant nous. La progression se fait quasiment en ligne droite. Parfois, l’empreinte d’un gros pied nous permet de progresser plus vite. Parfois une laissée fraîche nous conforte dans notre pistage. Après une quarantaine de mètres, nous obliquons sur notre gauche et nous revenons sur une zone où Galafe a déjà travaillé. C’est ce que m’indique la trace GPS. Vingt-cinq mètres, un tournant sur la droite. Puis pendant 150 m, nous progressons quasiment en ligne droite. Le sang me semble plus sombre … et plus liquide. Est-ce que le sanglier n’est pas simplement en train de se dérober devant nous ?

Galafe me semble atone. Pour bien lui rappeler que nous sommes là pour travailler, je lui remets la longe. De nouveau, elle avance, revient, repart mais plus lentement qu’au début. Nous obliquons sur notre droite. Il est 10 h 30. Nous avons parcouru 700 m, mais la piste suivie jusqu’ici fait environ 350-400 m. Cela n’est pas très glorieux. Et pas très efficace. Il fait de plus en plus chaud. Encore un indice … C’est le 38ème que je marque au GPS. Laurent balise avec du papier.

Nous sommes bloqués : nous ne voyons plus d’indices. Nous regardons sous les feuilles, sur les tiges, au sol, … Rien. Je demande à Laurent de rester sur place pendant que j’avance avec Galafe. Son allure est lente. Absorbé par ma recherche d’indices, je ne remarque pas que Galafe vient de démarrer, tirant sa longe derrière elle. Pas très malin de ma part … 60 m devant moi, j’entends du bruit. Un peu sourd, je n’identifie pas l’origine de ce bruit. Laurent m’appelle derrière moi : Galafe est revenue … sans sa longe. Après le bruissement des feuilles de maïs dû à une course de Galafe ou du sanglier, il entend le sanglier grogner. Même accroupi, je ne vois rien. Je mets la baïonnette au canon et avance penché en avant. Tous les dix mètres, je m’arrête, mets un genou en terre et essaie de deviner ce qu’il y a autour de moi. Je me dirige ainsi vers l’endroit où, selon le GPS, Galafe a fait demi-tour. J’arrive enfin sur la longe qui traîne inutile par terre. Elle est enroulée autour d’un pied de maïs. La botte est cassée : le cuir s’est déchiré près de la boucle. Galafe s’est sans doute retrouvée coince, comme attachée par la longe à un pied de maïs, et a dû se libérer d’un mouvement brusque … Je maudis ma connerie de l’avoir laissé avancer seule, sans tenir la longe. Je me maudis encore plus quand je constate à quelques centimètres de la botte une grande tâche de sang … Galafe n’est heureusement pas blessée. Ce sang ne peut provenir que du sanglier avec qui elle a été au contact. J’en ai une frayeur rétrospective encore décuplée.

Je calme ma chienne, et j’en profite pour l’inspecter brièvement. Tout est OK. Nous reprenons la piste et Galafe repasse devant. De nouveau en libre et à une allure plus soutenue. Après une centaine de mètres, nous n’avons plus d’indices. Je décide de faire une pause.

Ce sanglier est encore sur pied. Nous venons de le perdre, mais, sérieusement blessé au point de se laisser approcher, il est probablement resté dans le maïs. Il faut faire une pause pour le laisser se recaler et – espérons-le – s’épuiser un peu plus. Je n’ai pas envie de tourner dans le maïs, derrière ce sanglier …

Nous sortons donc du maïs, à l’opposé de notre point d’entrée. Nous allons retourner aux véhicules faire boire Galafe. Une petite cigarette m’aidera peut-être à réfléchir et à ne plus recommencer les conneries … Ca donnera du temps à la réflexion. Enfin, en longeant le champ de maïs, nous aurons l’occasion de vérifier si le sanglier n’est pas sorti du champ …

A 11 h, nous sommes revenus aux voitures. Je réfléchis à ce que nous avons fait. J’examine notre parcours sur la cartographie du GPS. Je me demande si nous n’avons pas relevé l’animal, une première fois, au début du pistage, un peu après la reposée. Cela pourrait expliquer la grande boucle décrite par Galafe : elle aurait été en « quasi-poursuite ». Certainement pas une poursuite à vue en raison du manque de visibilité. Je ne m’en serai pas rendu compte puisque je ne la voyais pas non plus. Et trompée par les odeurs de sangliers, elle aurait perdu le sanglier … avant de le retrouver lors du dernier contact « chaud ». Mais tout cela n’est que spéculation gratuite.

A 11 h 30, nous repartons en recherche. Nous longeons l’autre côté du champ. Il n’y a pas de trace de sortie. Finalement, nous arrivons à hauteur du lieu de contact. Il est situé à quelque 40 m de nous, à l’intérieur du champ de maïs. Au moment d’y pénétrer, nous entendons un bruit étrange sur notre droite. Cela semble provenir du champ de maïs. Est-ce que c’est le sanglier ? Est-ce un ouvrier agricole tapant sur un piquet avec une masse ? Difficile à dire. Nous faisons silence, tendons l’oreille … Ca n’aide pas … Je pénètre alors dans le maïs. Quelques pas … Ce bruit continue. Laurent accroupi sur ma gauche me prévient vivement : « il est là ». Je ne vois rien. Je regarde dans la mauvaise direction. Laurent me corrige. Il attrape Galafe par son collier. Il me presse : « là-bas … ; ça va, je tiens le chien … ». Enfin, en m’avançant, puis en mettant un genou à terre, sur ma droite, je vois une masse sombre. Je monte une balle dans la chambre. C’est le sanglier. Il est couché, mais vivant, à quelque 25 m. Je lâche une première balle qui le touche entre les pattes avant. Il bouge encore. Une deuxième balle. Il semble immobile. J’avance. Il bouge encore … Une troisième balle. Complètement raté … Une quatrième balle l’immobilise. J’avance encore. Prudemment. A quelque 5-10 m, je vois qu’il vit encore et lui envoie derrière l’oreille … la dernière balle de mon chargeur. J’autorise enfin Laurent à lâcher Galafe, qui se fait une joie de venir piller son ennemi de tout à l’heure. Mais il faudra encore que Laurent pique le suidé : il avait la vie dure. Pendant notre pause, il aura parcouru une trentaine de mètres entre son contact avec Galafe et l’endroit où nous le retrouverons.

Laurent sort le sanglier du champ et le vide, pendant que je tiens Galafe en laisse. Elle n’a qu’une envie : mordre dans la bête noire.


 

sanglier

 

 


 

 

La blessure se confirme être une balle d’abdomen, arrière. En sus, il semble bien avoir été touché par 4 de mes 5 balles. A la pesée, il avouera 47 kg vidé. Mais peu importe, j’ai maintenant beaucoup de plaisir à répondre à l’invitation de Laurent d’aller boire une bière bien froide. Le thermomètre indique maintenant 25 °C. Il est midi. Ce fut une recherche aux forceps. Longue. Difficile. Galafe n’était pas à l’aise dans ce biotope, mais elle a eu quelques actions déterminantes, notamment quand elle a été au contact du gros sanglier. Ce ne fut pas un travail glorieux, mais l’important était de retrouver ce sanglier et de mettre un terme à ses souffrances. Ce fut fait … Et finalement, sans casse pour le chien !

 


 

Luc Baufay




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