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Engrillagement, une loi à l’équilibre fragile votée au Sénat

Le Sénat vient de voter une loi visant à les limiter l’engrillagement des espaces naturels. Cette loi vise les grillages posés autour de certaines propriétés, en Sologne particulièrement. C’est une loi qui ne vaut que par son équilibre : disparition des clôtures contre pénalisation des intrusions. Cela survivra-t-il à l’Assemblée nationale ? Cela n’est-il pas le début d’atteintes graves au droit de propriété sous couvert de protection de l’environnement ?

L’exemple solognot

La Sologne est particulièrement concernée (cette région est d’ailleurs citée dans l’exposé des motifs) mais elle n’est pas la seule région touchée. Depuis un peu plus de 15 ans maintenant ces clôtures se multiplient. Dans bien des cas, elles empêchent la libre circulation de la grande faune, ce qui contrevient au Grenelles I et II de l’environnement qui ont établi le principe des trames vertes et bleues. Il s’agit souvent d’enfermer des animaux sauvages pour les chasser sans crainte qu’ils ne s’éparpillent ailleurs. On peut alors constater des « tableaux de chasse » surprenants qui font la fierté du propriétaire mais scandalisent les véritables chasseurs et ne donnent pas une bonne image de la chasse.

Depuis peu, des associations et des individus se battent pour limiter ou faire interdire ces clôtures. Beaucoup sont bien intentionnés. Ils se contentent de défendre la libre circulation de la faune et ont raison.

D’autres ont des motifs bien différents. Pour certains, c’est l’éternelle lutte des classes qui se perpétue au travers de ce combat. Les cerfs et sangliers ne sont qu’un alibi pour « casser du bourgeois et du riche propriétaire ». On trouve d’ailleurs des messages édifiants postés sur Facebook comme celui que vous pouvez voir ci-contre (faute d’orthographe comprise…). Il y a là un regret clairement affiché que ces grandes propriétés ne soient pas nationalisées. Nostalgie des kolkhozes probablement…

Pour d’autres, (les verts et les anti-chasse), ce n’est qu’une des batailles d’un combat plus vaste pour essayer d’abolir la chasse. Il ne faudrait pas que ces activistes voient dans cette loi un signal pour aller encore plus loin dans ces luttes contre la propriété privée et la chasse. Certains ne disent-ils pas que « la nature est à tout le monde » ?

Lire aussi : Sologne et clôtures. Un combat gâché par les idéologues.

Les dispositions de la proposition de loi contre l’engrillagement

C’est le sénateur LR Jean-Noël Cardoux qui est à l’origine de cette PPL que le Sénat vient d’adopter ce 10 janvier 2022. Elle vise à limiter l’engrillagement des espaces naturels et permettre ainsi la libre circulation de la faune. Elle comprend quatre articles. Il faut maintenant que l’Assemblée nationale l’étudie et la vote.

  • L’article 1er prévoit plusieurs dispositions concernant le code de l’environnement. Il modifie la trame verte en définissant précisément les clôtures autorisées. De plus, en transformant l’article L. 424-3 du code de l’environnement, il supprime les droits particuliers en matière de chasse dans les enclos cynégétiques et modifie la législation des parcs de chasse à caractère commercial. 
  • L’article 2 renforce le volet pénal des intrusions dans les propriétés privées. Il instaure une contravention de la 5e classe pour les personnes pénétrant sans autorisation sur la propriété d’autrui. 
  • L’article 3 consacre dans le code du patrimoine que les paysages et espaces ruraux peuvent être classés, au même titre que des villes, villages ou quartiers, comme sites remarquables. 
  • L’article 4 prévoit la possibilité de mobiliser les ressources de l’éco-contribution créée par la loi OFB du 24 juillet 2019 pour soutenir les opérations de désengrillagement.

Lire : proposition de loi visant à limiter l’engrillagement des espaces naturels et à protéger la propriété privée (site du Sénat)

Le détail

Droit de propriété respecté : le sénateur précise qu’il ne s’attaque pas au droit de propriété. Il rappelle les dispositions de l’article 647 du Code civil : « Tout propriétaire peut clore son héritage, sauf l’exception portée en l’article 682. » Il ne faudrait quand même pas que ceci devienne un signal mal interprété. Ces propriétés ne doivent pas devenir des zones de balade libre pour les promeneurs. La loi prévoit donc des infractions (contravention de la 5e classe) en cas de pénétration non autorisée. Elle prévoit aussi de supprimer la responsabilité des propriétaires en cas d’accident concernant les personnes s’introduisant sans autorisation dans ces propriétés privées clôturées ou non.

Caractéristiques des clôtures. La PPL définit les clôtures acceptables : posées 30 centimètres au-dessus de la surface du sol, hauteur limitée à 1,20 mètre et elles ne peuvent être ni vulnérantes ni constituer des pièges pour la faune et doivent respecter le SRADDET (qui peut imposer des matériaux naturels pour les clôtures).

Possibilité de contrôle par les agents de l’Office français de la biodiversité (OFB) : bien entendu ceci est assorti de sanctions. Le délai de mise en conformité serait de sept ans, avec, en cas de non-respect, une peine de trois ans de prison et 150 000 euros d’amende. Les agents de l’Office français de la biodiversité (OFB) pourront contrôler les enclos antérieurs à 2005 qui subsisteront.

Enclos et parcs de chasse : certaines chasses à caractère commercial devront s’adapter ou disparaître. En effet, cette loi a pour conséquence d’abroger les dispositions accordées jusqu’à présent aux enclos et parcs de chasse. Depuis 2005, ceux-ci bénéficiaient de dispositions leur permettant : l’exemption de plan de chasse, la non-participation aux remboursements des dégâts ou encore la faculté de ne pas respecter les dates d’ouverture et de fermeture de la chasse.

Une loi équilibrée mais un précédent dangereux pour la propriété privée.

Il s’agit de prime abord d’une proposition de loi équilibrée. Il fallait, en effet, limiter les nuisances causées par certaines clôtures. La faune et la chasse pâtissaient de celles-ci. La faune parce qu’elle ne circulait plus librement et la chasse car son image était dégradée par des pratiques bien loin de ce que décrivait Maurice Genevoix : « La chasse n’est rien, si elle n’est d’abord poésie. Poésie de la quête, de la poursuite et de l’aventure; sympathie instinctive et profonde avec la branche porteuse d’indices, l’herbe foulée, l’humus où s’imprime une empreinte; avec ce qui se cache, se glisse, se dérobe et s’évade, mais laisse flotter derrière soi un flocon, un duvet que l’épine accroche et demeure tiède au soleil vivant aux souffles passagers. »

Mais n’a-t-on pas ouvert la boite de Pandore ? Les atteintes à la propriété privée ne risquent-elles pas de s’aggraver encore sous couvert de défense de l’environnement sous la pression des lobbies verts et anti-chasse. Bientôt, on ne pourra plus être « chez soi ». C’est un risque.

Un équilibre qui risque d’être détruit à l’Assemblée nationale

Cette loi doit maintenant passer à l’Assemblée nationale. Nous savons tous que l’actuelle majorité n’est favorable ni à la chasse ni à la ruralité. Certaines dispositions risquent de disparaître. Il y a fort à parier que ce seront celles qui protègent les propriétaires. Or cette loi ne vaut que par son équilibre : disparition de certaines clôtures contre pénalisation des intrusions. Si cet équilibre disparaissait, la loi deviendrait uniquement un outil pour lutter contre la chasse et la propriété privée. D’ailleurs Bérangère Abba qui ne rate aucune occasion de montrer sa grande incompétence vient de déclarer :

« Je ne partage pas l’idée d’une forte pénalisation de l’intrusion. Dans beaucoup de pratiques de loisir, on ignore qu’on se trouve sur un terrain privé. »

Bérangère Abba « secrétaire d’État »

Avec ce genre de déclaration de la part d’un membre du gouvernement, combien de promeneurs indélicats vont se sentir encouragés à pénétrer chez vous pour la balade dominicale, le barbecue du weekend ou la randonnée en VTT ? Si les contraventions de 5° classe qui seraient encourues par les promeneurs pénétrant dans des propriétés privées survivent au passage à l’Assemblée nationale, qui va les constater ? Qui va les faire exécuter ? Par contre les amendes contre les propriétaires qui clôturent ou ne détruisent pas leurs grillages sont certaines. Deux poids, deux mesures ? Bérangère Abba a encore une fois raté l’occasion de se taire. Que le temps va nous paraître long avant son départ…

On peut aussi se demander si l’éco-contribution payée par tous les chasseurs (5 euros par validation) est faite pour financer la destruction de ces clôtures.

Enfin, mettre fin aux exemptions des enclos et parcs de chasse à caractère commercial risque de mettre en danger toute une filière économique qui permet à bien des coins reculés de campagne de continuer à vivre. Cela a-t-il été pris en compte ? Pas sûr…

Le député LREM François Cormier-Bouligeon a déposé une proposition de loi sur le même sujet à l’Assemblée nationale par mais celle-ci se contente d’interdire sans aucune contrepartie.

Lire : proposition de loi du député François Cormier-Bouligeon

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